Voler Haut: les femmes de l'art brut

Pour la première fois dans l´histoire, des artistes-femmes de l’Art Brut du XIXème siècle à nos jours sont présentés au public.

En paralléle avec l´exposition au Belvedere La Cité des Femmes,  le Kunstforum se focalise ici sur l'histoire des artistes de l'Art Brut. Une coïncidence qui s’avère chanceuse pour créer le débat sur la place des femmes dans le monde de l´Art aujourd´hui .

Défini par Jean Dubuffet en 1945, c´est le point de départ de l’art primordial non académique.  Ce concept va bien plus loin que des œuvres fait par des malades mentaux. On voit par exemple des femmes artistes «médiumnistes» (spiritualistes), des «Loups solitaires» et des femmes artistes handicapées. Cet élargissement découle du moins du changement radical de la médecine psychiatrique mais aussi de ses institutions. Des anciens bâtiments fermés qui sont devenues des structures plus ouvertes ou dissoutes.

Madame Favre, sans titre, 1860, crayon sur papier, Henry Boxer Gallery
L´exposition a rassemblé 316 œuvres de 93 femmes artistes de 21 pays entre 1860 à nos jours. Elle commence avec les collections historiques de psychiatres tels que Walter Morgenthaler (Stiftung Psychiatrie-Museum Bern) et Hans Prinzhorn (Universitätsklinikum Heidelberg). L’art collecté et soutenu par ces institutions du début du XXe siècle a produit de nombreuses publications à ce sujet - Ein Geisteskranker als Künstler (1921 - Folie & Art) et Bildnerei der Geisteskranken (1922 -“ L'art des malades mentaux ”). Ces recherches ont beaucoup inspirés d´autres mouvements tels que le surréalisme. Ce dernier est impensable sans l´art brut. De même pour le street art. Basquiat par exemple a été fortement influencée par une exposition de Mary T. Smith. Flying High ne se concentre pas que sur l’Europe, mais se tourne également vers les États-Unis, l’Amérique du Sud ou l’Asie. Depuis la révolutionnaire Biennale de Venise de 2013 dédié à l´art Brut, il existe certaines stars dans ce domaine, telles que Guo Fengyi ou Judith Scott.

La première moitié des salles présentent ces institutions célèbres qui ont participé au développement historique de l'Art brut au début du XXe sièclen nottament les collections Morgenthaler et Prinzhorn. Mias c´est à l´entrée qu´on se sublime devant l'œuvre principale de la peintre Aloïse Corbaz, longue de 14 mètres. Elle fut la seule et aussi la première star féminine de l'Art-Brut déjà promue par Jean Dubuffet.

Ida Maly, Figur aus Zellen, ca 1934, encre sur papier, collection privée, Photo: © Alistair Fuller, Bank Austria Kunstforum Wien
Les femmes étaient considérées comme les dernières parmi les dernières des asiles psychiatriques. Cette exposition est émotionnellement difficile. Certaines œuvres parlent de leurs mauvaises conditions, telles que le service de café au crochet de Hedwig Wilms (1913/15). Ou encore les photos des motifs que Marie Lieb a posés sur le sol de sa chambre de malade en draps déchirés en 1894, peut-être la première installation de chambre de l´histoire de l´art.

Aujourd´hui, les thérapies ont également changé, les médicaments bloquent certains moyens d’expression jadis communs, il existe également de nombreuses institutions plus ouvertes, telles que le studio Goldstein près de Francfort, où travaille Julia Krause-Harder avec les squelettes de toutes les espèces de dinosaures connues.

L´exposition fait découvrir des artistes dont le nom n'est pas connu. En particulier "Mrs. St." (on a pas de connaissance plus que sa signature). Elle avait travaillé avec la technique du collage en 1890 et 1891. Environ deux décennies et demie avant les cubistes, elle collait  déjà des feuilles de papier et des coupures de journaux!






Frau St., Sans Titre (Collage), vers 1891, Collection Prinzhorn, Universitätsklinikum Heidelberg
Gisela Steinlechner, experte en Art Brut, souligne dans un catalogue de la collection Prinzhorn intitulée Lunacy is female que Mme St. "n'a probablement pas craqué pour l'encombrement des restes de journaux". Après tout, elle n'avait probablement pas de soucis financiers car elle était interné au centre médical privé d´Ober-Döbling, un des établissements les plus luxueux du monde germanophone. Cette artiste n’a pas utilisé les extraits de journaux particulièrement expressifs ou emblématiques, mais plutôt leurs marges, souvent non imprimées, ou celles contenant peu de texte ou de données. "À partir des coupures et des épissures verticales et horizontales des marges de journaux, elle crée des colonnes de texte découpées et un cadrage rapellant une grille - un parcours de déchets graphiques et de formations aléatoires."

Hedwig Wilms, plateau avec broc et arrosoir, vraisemblablement 1913-1915, fil de coton  (nouage et crochet), Collection Prinzhorn, hôpital universitaire de Heidelberg
Il y a également des artistes tels Hedwig Wilms, qui a créé un service textile (bien avant les Soft Sculptures de Claes Oldenburg), Marie Lieb, qui a interprété les textiles dans sa chambre (clin d´oeil à  Franz Erhard Walther). La question de savoir s'ils peuvent être considérés comme des précurseurs reste passionnante. Steinlechner la décrit lucidement dans le cas de Frau St.: "Un sens de l’art formé à l’avant-garde et à l’esthétique du présent se retrouvera sans doute ici, mais une telle vision masque également la perception qu’il n’existe ni espace de résonance artistique, ni réseau discursif. Les ruptures avec les conventions, l’expertise en matière de matériaux et de formes ont toujours ici un sens."

Voler Haut les femmes de l´art brut à voir au Kunstforum Bank of Austria jusqu´au 23 Juin 2019




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