La cité des femmes: artistes viennoises entre 1900 et 1938


Pour préparer cette exposition, les commisaires ont du bien fouiller dans les archives du Belvédère afin de redécouvrir des œuvres, dont certaines étaient considérées comme disparues comme la sculpture Ève de Feoderovna Ries. Pour le printemps 2019, le galeries nationales du Belvédère nous proposent un nouvel regard sur ces artistes-femmes oubliées de l´âge d´or du modernisme viennois.

Photo: Johannes Stoll, © Belvedere, Vienna
Vue de l´une des salles de l´Exposition, Photo: Johannes Stoll, © Belvedere, Vienna


Une artiste juive d'origine russe, Teresa Feoderovna Ries, présenta en 1896 sa sculpture en marbre grandeur nature Sorcière nue se coupant les ongles provoquant le scandale. Cela lui a valu une invitation de Gustav Klimt à exposer son travail à la Sécession Viennoise. Ce qui n´a pas été permis, c´est que les collègues de ce grand peintre ont refusé son accès au club. À cette époque, les principaux syndicats d’artistes et l’académie des beaux-arts opposaient un veto aux femmes mais cela ne leur a pas empêché de créer leur propre syndicat et leurs propres manifestations culturelles.


Helene Funke, Nue regardant le Mirroir, 1908-1910 © Belvedere, Wien
« À Vienne, ces femmes-artistes ont atteint un niveau d'émancipation qui a été complètement oublié», a déclaré Sabine Fellner, conservatrice. «Elles n'étaient pas autorisées à étudier à l'académie, alors certaines sont allés étudier à l'étranger et se sont organisées dans des cercles pour exposer […] parfois dans les meilleures galeries

Entre 1900 et 1938,  les femmes avient souvent le rôle d'épouse et de mère. Certaines ont réussi à abandonner ce dilettantisme et construisirent de solides carrières artistiques conquérant ainsi la scène viennoise. Elles ont formé des groupes alternatifs et elles ont recherché des nouveaux défis esthétiques aussi éloignés des natures mortes que du nu féminin. Celles qui avaient les moyens, comme Helene Funke et Lilly Steiner, sont allées étudier à Paris et ont reçu l'influence de Matisse et du Fauvisme.

Déjà en 1908, l'ambitieux Kunstschau citait 179 artistes, dont un tiers de femmes. Le Neukunstgruppe d'Egon Schiele avait une part similaire en 1909. En 1910, elles s'émancipèrent définitivement avec la fondation de l'Association autrichienne des femmes artistes (VBKÖ) et montèrent l´exposition "L'Art de la femme" dans la Sécession, la première exposition internationale dans le monde consacrée uniquement aux œuvres crées par les femmes entre 1600 et 1910, aillant un record de visities 12 000 personnes en deux mois.


 L'année suivante, la VBKÖ a commencé à définir l'agenda des expositions de la capitale et a même procédé à des divisions internes. Fanny Harlfinger-Zakucka a créé une association considérée comme radicale et de gauche qui a révolutionné la scène artistique, la Wiener Frauenkunst. Stephanie Hollenstein, Helene Funke, Helene von Taussig et Broncia Koller-Pinell comptaient parmi ses membres.




En 1938, la terreur nazie a déclenché la persécution d'artistes juifs et la dissolution ou l'aryanisation d'écoles et d'associations de femmes. De nombreux artistes durent émigrer. Leur art considéré comme dégénéré fut interdit et plusieurs œuvres détruites.

Après 1945, ces femmes artistes ont disparu de vue. Les historiens de l'art de l'après-guerre s'intéressaient beaucoup plus à leurs homologues masculins. Ce n’est que lors de la publication du livre de Sabine Plakolm-Forsthuber en 1994, Women Artists in Vienna 1897-1938, que cet intérêt a repris. Selon Fellner, le livre de Julie Johnson de 2012, The Memory Factory: Les artistes oubliées de Vienne 1900, a été une étape importante pour cette reconnaissance.


Ce qui est intérrêssant de noter c´est que la soixantaine d´artistes présentés au Belvedere ne constituent pas un groupe homogène. L´échantillon qui couvre l´exposition va à l’extrême: on voit des pro-nazis comme Stephanie Hollenstein, des artistes comme Helene von Taussig, tuée dans un camp de transit en Pologne, ou Friedl Dicker, à Auschwitz. D´autres comme Dicker et la peintre Trude Waehner, formée dans la classe de Paul Klee au Bauhaus, membre de la résistance antifasciste et qui reflète son engagement sociopolitique dans ses collages photographiques, des courrants comme l'impressionnisme, le sécessionnisme, l'expressionnisme, l'art cinétique et la nouvelle objectivité sont aussi en vue.

Certaines artistes ont eu le soutien de leurs maris, parents ou enseignants, tels que Mileva Roller, Elena Luksch-Makowsky et Emilie Mediz-Pelikan, une peintre qui a demandé à être admise au Hagenbund - où elle a souvent exposé en tant qu'artiste invitée - par le biais de médiation de son mari, également peintre et membre du Hagenbund Karl Mediz. D'autres, telles que Teresa Feodorovna Ries et Helene Funke, se sont battues seules. La paysagiste Tina Blau a refusé d´apartenir à une association uniquement composée de femmes. Ce qui les unit à toutes dans une exposition commune, c'est le manque de reconnaissance dans l'art.

"Est-il possible qu'il y a plus d'un siècle, nous étions plus avancés que nous le sommes aujourd'hui?", demande la commissaire Sabine Fellner à Frühmarkt, le tableau de 1907 de Broncia Koller-Pinell qui aurait été perdu. et qu'elle a trouvé par hasard dans les fonds du Belvédère lors de la préparation de cette exposition. Koller-Pinell, membre fondateur de la Neue Secession et influent de manière déterminante dans l'œuvre d'Egon Schiele, a participé à plus de 15 expositions, travaillé avec Klimt et forgé une carrière artistique de 40 ans jusqu'à sa mort, en 1934. Fellner souligne que le Troisième Reich est responsable de cette grande perte des femmes dans l'art contemporain, mais également la société autrichienne très conservatrice de la fin des années 40. Que se passera-t-il le 19 mai prochain, lors de la clôture de l'exposition? Ces artistes vont-elles accumuler de nouveau cent ans de poussière? "J'espère que non. Notre intention est qu’il s’agisse d’une rétrospective novatrice qui inspirera les nouvelles générations ", conclut Sabine Fellner.

La Cité des Femmes Artistes viennoises entre 1900 et 1938 à voir au Belvedere jusqu´au 19 Mai 2019

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